"Les rééditions c'est de la merde" : notre interview de Refused au Hellfest
Publié : 22 juin 2025 à 15h51 par Lucas Pierre
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Refused se produit pour la dernière fois de sa carrière au Hellfest ce dimanche 22 juin. L’occasion pour nous de rencontrer le batteur de la mythique formation suédoise, David Sandström, avec qui nous revenons notamment sur la réédition de "The Shape of Punk To Come" sortie au mois de novembre 2024.
OÜI FM : Comment ça va ? C’est une tournée spéciale ! Qu’est-ce que ça fait de jouer ici, au Hellfest, pour la dernière fois ?
REFUSED : On a donné de très bons concerts ici. Le dernier était même l’un des meilleurs qu’on ait fait dans notre carrière selon. C’est notre ingé son qui nous l’a dit ! En tout cas, jouer ici pour la dernière fois, ça fait bizarre. Mais je dois aussi avouer que je suis le genre de personne qui réalise ce qui se passe parfois plusieurs mois, voire plusieurs années. Donc j’espère juste que ce sera un bon concert !
OÜI FM : Ce qu’on aime beaucoup avec Refused, c’est que vous n’avez pas peur de dire ce que vous pensez. Récemment vous avez pris position concernant certains festivals, en décidant de ne pas boycotter certains événements. Pouvez-nous expliquer ?
REFUSED : Il y a une entreprise spécialisée dans le divertissement qui s’appelle Superstruct et qui a été en partie rachetée par une autre entreprise appelée KKR. Cette dernière investit dans la cyber-sécurité israélienne. Nous, en tant que personnes de gauche des années 90, on a toujours eu comme principale arme le boycott pour prendre position. Ce qui, avec du recul, nous paraît naïf aujourd’hui, parce qu’on perd beaucoup de temps à ne pas faire disparaître la souffrance, on se retire simplement de l’équation, ce qui fait de nous des gens avec des valeurs, avec une morale, mais on n’aide en réalité personne, et je crois que c’est important de comprendre qu’aujourd’hui achète des biens ou on souscrit à des abonnements sans jamais vraiment savoir où va cet argent.
Pour nous, c’est très négatif que ce type d’entreprise commence à investir dans le divertissement, à racheter des catalogues d’artistes… parce que ce ne sont pas des investissements très compliqués, ni controversés ! Mais, par exemple pour KKR, ils font des millions de bénéfice, alors que Superstruct est tout petit et gagne très peu. Eux, possèdent environ 80 festivals, et on a joué dans trois d’entre eux. Concrètement, c’est très bien moralement de les boycotter, mais si on peut s’y rendre et mettre en avant tout ce qui ne va pas, c’est mieux ! Pour moi, les européens blancs ont toujours été utopistes sur la manière d’agir. On a toujours cru qu’on pouvait boycotter Coca-Cola et que ça allait faire une différence. Moi je pense que le combat n’est pas ici. Je respecte ceux qui pensent qu’on devrait boycotter ces festivals, je suis même plutôt d’accord, mais au final KKR gagne toujours de l’argent grâce au peu d’argent que Superstruct arrive à glaner, donc ce n’est pas normal.
OÜI FM : Donc si on comprend bien, selon toi, c’est plus efficace de dire que ce n’est pas bien, plutôt que de simplement ne pas être là.
REFUSED : Je crois, oui. Hier par exemple, on a donné un concert gratuit au Luxembourg. C’était dans le cadre d’un événement là-bas. Donc les gens écoutaient simplement notre musique, dans la rue, sans savoir qui on était ! Donc on a parlé à ces gens du génocide à Gaza, alors qu’ils n’en auraient peut-être pas entendu parler autrement. Notre discours a une certaine portée, et je crois que c’est plus efficace.
OÜI FM : C’est aussi important d’utiliser une plateforme pour informer les gens, les éduquer ?
REFUSED : Oui exactement. D’autant qu’on a à coeur de redistribuer l’argent que l’on engrange dans ces festivals auprès de familles pour leur venir en aide. On est en contact avec de associations aussi. L’idée c’est de prendre leur argent et de le donner entièrement, c’est plus efficace que de ne juste pas être présent dans un événement. On pourrait dire qu’on se sacrifie moralement, parce que je crois je dormirais mieux si on boycottait, mais je pense qu’on prend la bonne décision.
OÜI FM : Quel conseil donnerais-tu à des groupes qui auraient peur de vraiment s’engager, s’ils croient réellement en quelque chose ?
REFUSED : Je dis souvent qu’on vit une époque où les gens se disent de gauche par exemple, mais on réalise très vite qu’ils n’ont jamais lu de littérature socialiste. C’est comme le féminisme, il s’agit d’une idéologie, on ne prétend pas simplement être féministe, comme on ne prétend pas simplement être marxiste. Les gens sont pour les droits des femmes, mais par quel féminisme ? Il y en a tellement ! Ça a été l’une des disciplines académiques avec l’ascension la plus fulgurante. Quand on demande à quelqu’un quelle féministe il a lu, la réponse habituelle est de dire qu’il est simplement pour que les femmes gagnent autant que les hommes. Ça fait partie du féminisme, oui, mais ce n’est pas que ça. Personnellement, je pense qu’il y a encore beaucoup de choses chez les féministes des années 70 dont on devrait s’inspirer.
OÜI FM : Vous avez sorti une réédition de The Shape of Punk To Come il y a quelques mois, comment est venue la décision de faire jouer les titres de l’album par d’autres groupes ?
REFUSED : Pour moi, les rééditions, c’est de la merde. On continue de ressortir le même album encore et encore. Mais j’ai bien compris que c’est comme ça qu’on fait vendre des classiques ! Un bon album peut-être album à lui tout seul. Mais si un label peut faire beaucoup d’efforts pour qu’un bon album devienne un très bon album. En le rendant toujours de nouveau disponible pour un public plus jeune. Il se trouve qu’on a des amis qui ont sorti d’excellents albums dans les années 90, qui restent inconnus aujourd’hui. Nous, on a eu de la chance, l’un de nos albums est sorti sur un bon label américain, qui l’a vraiment poussé. C’est comme ça que les classiques deviennent des classiques. On le publie encore et encore.
Donc quand on a pour la première fois évoqué la réédition de cet album, on a réfléchi à une manière originale d’avoir de la nouvelle musique grâce au budget alloué à la réédition. Donc on a contacté des groupes et artistes qu’on aime et qu’on respecte. Et on leur a demandé de détruire l’album. On leur a dit "Faites ce que vous voulez, prenez une ligne d’un morceau et écriez une nouvelle chanson, retirez un riff que vous n’aimez pas d’un titre, faites ce que vous voulez !". Certains ont fait d’excellentes covers, qui sonnent comme les originaux, mais d’autres ont complètement retravaillé les morceaux. Brutus a fait un travail incroyable, Cult of Luna aussi, tout comme Touché Amoré, ils ont fait quelque chose d’incroyable ils ont mis en avant des choses qu’on ne voyait même pas dans nos propres titres. C’est vraiment cool. Et c’était très agréable que chaque groupe ou artiste à qui on a fait cette proposition accepte. C’est très flatteur.