"Rockin’ in the Free World" de Neil Young : le cri électrique du “monde libre”

Il y a des riffs qui claquent comme des coups de poing. Et celui de Rockin’ in the Free World, signé Neil Young en 1989, en est un. A la fin des années 80, alors que la Guerre froide touche à sa fin et que les États-Unis se félicitent d’incarner le “monde libre”, le chanteur canadien choisit de gratter là où ça fait mal. Plutôt que de célébrer la victoire du capitalisme, il montre l’envers du décor : pauvreté, désespoir, promesses politiques vides et rêve américain fissuré.

Ce morceau, devenu l’un des plus puissants de sa carrière, est une charge politique sous forme de rock incandescent. Young y dénonce les dérives d’une société qui se dit libre mais qui laisse ses citoyens sur le carreau. Ironie du sort : son refrain, “Keep on rockin’ in the free world”, a fini par être scandé comme un slogan… souvent à contresens de son propos initial.

Sur l’album Freedom, Neil Young joue la carte du contraste. Il ouvre le disque avec une version acoustique, fragile et désenchantée, avant de le refermer sur une version électrique, sauvage, hurlée, devenue mythique. Ce double visage illustre à merveille le message de l’artiste : la liberté, ce n’est pas un mot creux, c’est une tension permanente entre idéalisme et réalité.

Et si le titre n’est pas resté coincé dans les années 90, c’est parce qu’il a su traverser le temps. Repris par Pearl Jam, Suzi Quatro, Krokus ou encore Larkin Poe, Rockin’ in the Free World s’est transformé en hymne générationnel, une déflagration intemporelle du rock engagé. Même la politique américaine s’en est emparée — pour le meilleur et pour le pire.

En 2016, Donald Trump l’utilise dans ses meetings de campagne, sans l’accord de Neil Young, fervent soutien du candidat démocrate Bernie Sanders. L’artiste crie au scandale, rappelle le sens originel de sa chanson, avant de renoncer au procès. Ironique ? Complètement. Un morceau né pour dénoncer la récupération politique… récupéré politiquement.

Mais c’est aussi ce paradoxe qui fait sa légende. Rockin’ in the Free World n’est pas qu’un tube rock : c’est une mise en garde électrisante, un miroir tendu à l’Amérique — et à tous ceux qui confondent liberté et indifférence. Plus de trente-cinq ans après, le cri de Neil Young résonne toujours, amplifié par les guitares et la colère : un rock lucide, brut, et éternellement libre.