PLACEBO : interview de Brian Molko à l’occasion de la sortie de "Never Let Me Go"

22 avril 2022 à 15h06 par Aurélie Communier

Placebo
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Crédit : ©Mads Perch

Placebo a choisi ce beau printemps 2022 pour dévoiler son 8e album studio "Never Let Me Go", un disque émotionnel et poétique dans lequel le duo Brian Molko et Stephan Olsdal nous offre leur vision de la société d’aujourd’hui, sur fond de mélodies aux synthés et d’expérimentations. Une chose est sûre, Placebo n’aime pas s’ennuyer et ne fait pas les choses comme tout le monde. A quelques jours de la sortie de l’album, nous avons pu échanger avec Brian Molko au détour d’un hôtel parisien sur ces 8 années écoulées depuis "Loud Like Love", leur précédent album, et leur retour en studio pour la composition de ces nouveaux morceaux. 

Ecouter l'interview de Brian Molko par Aurélie :

Interview de Brian Molko - Placebo

"Je pense que c’est important, si tu ne peux pas faire de la musique qui t'enthouisasme toi-même, comment veux-tu que les autres soient enthousiastes. Si tu n’as pas de connexions émotionnelles, si ce n’est pas important pour toi ce que tu dis, comment veux-tu que ce soit important pour les autres."

 

OüiFM : Huit ans se sont écoulés entre « Loud Like Love » et « Never Let Me Go », une période qui a été chargé en rebondissements... Qu’est-ce qui vous a motivé à retourner en studio, à vous lancer dans la composition de ce nouvel album ?

Il faut quand même dire que c’est ce qu’on a fait durant toute notre vie adulte. Steph et moi, quand on a commencé, il avait 20 ans et moi, j’avais 22 ans. Je faisais déjà de la musique avant ça, tout seul. Alors, on a passé toute notre vie, presque, à écrire des chansons pour Placebo. On ne sait pas vraiment quoi faire d’autres. Alors, oui, huit ans se sont écoulés entre les deux albums, mais on a tourné pour « Loud Like Love » pendant deux ans, puis on a sorti notre compil’ rétrospective, on a aussi fait une tournée avec ça, et ça nous a pris aussi un petit peu de temps pour écrire le nouvel album. Et puis, « Bang », pandémie. Alors tout a été reporté pour au moins deux ans. Ce n’est pas comme si on sortait de retraite, ce n’est pas un comeback. C’est seulement un nouvel album et ce sont les circonstances qui on fait que c'est comme ça.

Votre nouvel album s’appelle « Never Let Me Go », traduction : Ne me laisse jamais partir... Ça s’adresse à quelqu’un en particulier ?

« Ne me laisse jamais partir », je trouve que c’est un titre très Placebo. « Without You I’m Nothing », « A Place For Us To Dream », « Never Let Me Go », c’est un titre très humain et c’est inspiré d’un de mes livres préférés de Kazuo Ishiguro (écrivain japonais), c’est un livre sur les clones. C’est vraiment un livre que je recommande. C’est ça l’inspiration pour le titre.

« Never Let Me Go » est un album que vous avez composé et enregistré à deux, c’est la première fois que vous bossez sous ce format-là. Pourquoi ce choix, plus pratique avec la crise sanitaire ou envie de changement ?

Oui, c’était pratique, mais on cherchait aussi la différence, on cherchait un processus différent. On s’est retrouvé dans notre studio qu’on a bâti nous-même, à deux, en train de se dire : « Qu’est-ce qu’on va faire ? » C’était un petit peu comme à nos débuts. On n’avait pas de contrat de disque et on enregistrait des démos sur cassette dans le salon. La seule différence, c’est qu’on a un studio maintenant. Alors on s’est dit qu’on avait des possibilités presque infini ici, on pouvait se faire vraiment plaisir. On vient de faire une tournée, on a joué nos tubes, on a fait plaisir à tout le monde. Alors, faisons nous plaisir cette fois. C’est avec cette attitude-là qu’on a approchée l’album. Je pense que c’est important, si tu ne peux pas faire de la musique qui t'enthouisasme toi-même, comment veux-tu que les autres soient enthousiastes ? Si tu n’as pas de connexions émotionnelles, si ce n’est pas important pour toi ce que tu dis, comment veux-tu que ce soit important pour les autres. 

« On voulait reprendre possession de notre groupe essentiellement et prendre toutes les décisions nous-même. »

 

Ce nouvel album est assez varié dans les styles et dans les ambiances... Pas trop dure de se mettre d’accord sur la direction musicale quand on bosse à deux ?

On s’est vraiment lassé de la démocratie musicale dans un groupe. Il y avait toujours une bataille entre nous et le batteur. On en avait marre, donc on a décidé de devenir des dictateurs bénévoles et c’est devenu beaucoup plus simple pour nous. On est sur les mêmes choix artistiques Steph et moi. On est presque toujours d’accord, alors y a une facilité nouvelle. On était vraiment la plupart du temps sur le même chemin. On voulait reprendre possession de notre groupe essentiellement et prendre toutes les décisions nous-même.

Pour ce disque, vous avez utilisé un processus de création un petit peu particulier en faisant tout à l’envers. Peux-tu nous expliquer le concept et pourquoi être parti sur ce fonctionnement ?

J’avais peur de m’emmerder après vingt-sept ans de création si on restait avec notre méthodologie classique. J’avais peur que ça devienne répétitif pour moi, j’avais peur de m’en lasser. Alors j’ai décidé essentiellement de tout faire à l’envers. La dernière décision créative qu’on prend quand on a fait un album, c’est choisir la couverture. Alors, j’ai commencé avec la couverture. Je me suis pointé au studio avec cette photo et j’ai dit à Stephan :

- «  Tu kiffes cette photo ? »

- « Ouai, elle est cool »

- « Ça serait une bonne couv’ tu penses ? »

- « Ouai, pas mal. »

- « Ok, alors c’est la couv’. »

Et puis, j’avais une liste de titres de chansons. Au lieu d’un bouquin plein de paroles, j’écrivais des listes et des listes de titres que j’ai montré à Stephan. Normalement, on écrit la chanson d’abord et puis on décide du titre après. Alors, on a commencé avec les titres cette fois. C’était vraiment pour casser le confort. On ne voulait pas tomber dans la facilité. Quand je bossais avec David Bowie, son mantra, c’était toujours :

- « Est-ce que tu te sens à laisse avec ce que tu fais maintenant ? »

- « Bah ouai David. »

- «  Alors, tu ne le fais pas de la meilleure façon. »

Pour David, il fallait toujours se sentir un petit peu mal à l’aise, il fallait qu’il y ait du danger, il fallait qu’il casse les choses. Et c’est comme ça qu’il a pu se réinventer autant de fois. Il faut du courage pour faire ça. C’est une des choses énormes qu’il m’a apprise en tant qu’être humain. Alors, je voulais créer un environnement où il n’y avait pas de confort, où il y avait du risque et du danger tout le temps. Quand tu crées ce genre d’environnement pour bosser, y a plein d’accidents et de fautes, des choses à laquelle tu n’aurais jamais pensé toi-même. Tu crées la possibilité de te surprendre toi-même, et pour moi, c’était important.

« Je m’emmerde facilement aussi, et c’est ça qui me pousse à trouver des méthodologies différentes. J’ai vraiment poussé ça à l’extrême avec cet album, et je pense qu’on peut l’entendre. » 

 

Parmi les premiers morceaux dévoilés de ce nouvel album, vous avez choisi « Beautiful James », pourquoi ce titre ?

C’était évident, ce n’était pas vraiment une décision. Les 45 tours se choisissent un peu soi-même. On savait dès qu’on l’avait enregistré que ce serait le premier single.

Dans ce morceau, on retrouve des thèmes que vous aviez déjà abordés dans les années 90 avec votre chanson « Nancy Boy ». Est-ce que les deux titres sont liés?

Sincèrement, je n’y ai jamais pensé parce que j’ai tendance à ne pas comparer ce qui est nouveau avec ce qui est ancien. Je n’aime pas vraiment regarder en arrière. Cette chanson me fait plutôt penser à « Jump » de Van Halen. Parce que, quand j’étais jeune dans les années  80, Van Halen, c’était un groupe de rock très connu aux Etats-Unis, mais pas vraiment connu dans le reste du monde. Quand ils sont revenus avec l’album « 1984 », tous les fans de Van Halen étaient incroyablement fâchés parce que leur guitare héros était en train de jouer du synthé. Mais c’est cette chanson-là qui a transformé Van Halen en superstars mondiales. Et pendant qu’on mixait cette chanson (« Beautiful James »), je me disais que ça pourrait peut-être être notre « Jump ». Je n’avais pas écouter « Jump » depuis les années 80. Alors, je suis retourné chez moi, je l’ai téléchargé, j’ai écouté et j’ai réalisé que le son du synthé est identique, c’était dingue.

Justement, les synthés sont très présents sur « Never Let Me Go », limite plus que les guitares...

Il y a beaucoup plus de mystère pour nous avec les synthés qu’il n’y en a avec les guitares, parce que ça fait plus de vingt ans qu’on les utilise, qu’on met les guitares en avant, donc il y a beaucoup moins de mystère. On a envie d’apprendre, de faire des bêtises, de trouver des choses nouvelles, des instruments nouveaux, de les utiliser de la mauvaise façon pour créer des sons surprenants. C’est excitant pour nous parce qu’on n’a pas la connaissance, alors on découvre encore. On est un petit peu comme des ados dans le studio avec ces claviers et ces synthés. On ne sait pas comment il marche, mais ce n’est pas un problème. On les branche et puis on fait des conneries et peut-être qu’il y aura un accident d’une beauté énorme, et ça s’est passé plusieurs fois pour cet album.

Un album qui a été marqué par beaucoup de prises de risque finalement ?

Oui, il faut avoir le courage de casser avec ce qui vous a rendu le plus célèbre. Comme David Bowie l’a toujours fait. Juste avant que ça ne devienne répétitif, « Boum ! Fini ! », on fait quelque chose de nouveau. Et c’est ça aussi qui tue l’art. C’est cette répétition, de travailler avec un formulaire. Ouai... Et, je m’emmerde facilement aussi, et c’est ça qui me pousse à trouver des méthodologies différentes. J’ai vraiment poussé ça à l’extrême avec cet album, et je pense qu’on peut l’entendre.

Dans cet album, il y a un titre en particulier qui a attiré mon attention, c’est le morceau « The Prodigal » avec une orchestration à corde... Comment se sont passés la composition et l’enregistrement de ce titre ?

« The Prodigal » est la seule chanson que j’avais écrit avant de commencer à bosser sur cet album. On m’avait demandé d’écrire un thème pour un film, et ce film n’a jamais été fait. Je sais pas ce qui s’est passé, mais le film n’existe pas. Le sujet, c’était sur un groupe de rock et un des membres mourrait sur scène. Alors j’ai décidé d’écrire une chanson optimiste et bouddhiste sur la mort. Mais musicalement quand je l’ai écrite, c’était presque une photocopie de « Where Is My Mind » des Pixies. Quand on est rentré dans le studio, on voulait bosser sur cette chanson, mais on voulait vraiment totalement changer le son et c’est notre producteur qui a suggéré : « Pourquoi est ce qu’on ne ferait pas quelque chose plus dans le style de « Eleanor Rigby » des Beatles ? ». J’ai deux groupes préférés, les Beatles et Sonic Youth. Alors j’étais très excité par son idée. C’est pour ça qu’on s’est retrouvé dans ce paysage sonique avec toutes ces cordes et voilà, c’est devenu « The Prodigal ».

« Je trouve ça beau, thérapeutiquement, de pouvoir communiquer avec les gens, partager ces idées et ces émotions qui sont importantes pour moi. »

 

Avec « Never Let Me Go », les fans ont droit à un album chargé en émotions, à la fois cathartique et engagé. Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui la musique peut encore changer les mentalités et faire réfléchir les gens ?

Je ne suis pas sûr... Après les années 60, la musique n’a pas changé le monde, et dans les années 70, non plus. J’en suis pas convaincu. Mais le côté cathartique, absolument. C’est une sorte de thérapie, essentiellement. J’externalise les choses qui me démangent à l’intérieur, qui me font de la peine, qui rend ma vie difficile émotionnellement. Je ne suis pas quelqu’un qui écrit des chansons tous les jours, j’écris les chansons dans un état d’urgence. Et c’est absolument nécessaire que je les sorte de moi-même sinon elles vont me démanger, elles vont me bouffer complètement. Et je trouve ça beau, thérapeutiquement, de pouvoir communiquer avec les gens, partager ces idées et ces émotions qui sont importantes pour moi.

« Never Let Me Go » est disponible ici 

Retrouvez Placebo en concert en France cet Automne avec quatre dates : le 10 novembre au Zénith de Nancy, le 11 novembre à l’Accorhotel Arena à Paris, le 13 novembre à l’Arkéa Arenan à Bordeaux et le 14 novembre au Liberté à Rennes.