[Nouvelle Scène] Travailler dans la musique, c'est savoir être un couteau-suisse

OUI FM

16 décembre 2016 à 11h35 par Angèle Chatelier

Ce mois-ci, avec Matthieu Morin de Hold On Music, nous nous intéressons au métier d'éditeur et aux subventions.

La musique émoustille, captive, se consomme et assomme, parfois. Elle est complexe. En perpétuelle mutation et pas toujours facile à suivre. Tous les mois, OÜI FM propose de mettre en lumière un travailleur indépendant. Un artisan de la musique. Celui ou celle qui se cache derrière les artistes, les disques et certains labels. Ils sont producteurs, tourneurs, managers, attachés de presse ou chefs de projet. Parfois tout à la fois. Ils sont les Productions Indépendantes. Ce mois-ci, avec Matthieu Morin de Hold On Music, nous nous intéressons au métier d'éditeur et aux subventions.
Il "défend avant tout les artistes," mais il passe ses journées le nez dans la paperasse.    Matthieu Morin est calme et réfléchi. Mais il est Les 4 fantastiques à lui tout seul. Un "couteau-suisse" comme il aime le dire. Avec son entreprise Hold On Music, il a quatre pôles de travail : "la production, le label, la prestation de services et l'édition musicale."  Il est tout à la fois, mais c'est un éditeur en apprentissage. Un travail qui demande "beaucoup plus d'investissement que l'on voudrait le croire." Un métier vaste et instructif.  Le travail d'éditeur est "passionnant" mais peut aussi être barbant. Matthieu doit, au départ, accompagner les artistes dans la gestion et la défense de leurs droits d'auteursSon rôle est d'abord de déclarer les œuvres de ses artistes à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem). Si Parlor Snakes crée cinq titres, par exemple, Matthieu se chargera de les déposer pour que le groupe touche de l'argent dessus à chaque fois qu'ils sont repris ou joués (tout en en vérifiant bien la répartition, selon les pays). Il doit par la suite faire vivre ces œuvres, et générer des droits. Autrement dit, placer ses artistes. Radio, télévision, cinéma, ils doivent être partout. Dit crûment, les droits, "c'est de l'argent." La visibilité n'en apporte pas, ou peu. La synchronisation... oui. Le graal pour certains artistes : qu'une musique soit la bande-son d'une publicité (qui aurait connu Photomaton de Jabberwocky sans Peugeot ?).  Mais Matthieu le défend. Être éditeur, pour lui, c'est être aussi un peu manager. Ce qu'il préfère : le côté accompagnement. Être de bon conseil pour ses artistes et force de proposition artistique et stratégique. Ce qui peut l'y aider : les subventions.
Les subventions, ça rend ronchon Les subventions, un vrai casse-tête. "Certain renoncent à les demander avant même d'avoir commencé tellement c'est compliqué" avoue le groupe The Sapphics, gagnant aux OÜI FM Rock Awards 2015 dans la catégorie Autoprod. De son côté, Matthieu tempère, mais dénonce une certaine hypocrisie du système : pour obtenir une subvention - qui oscillera entre 30 et 50% du budget total, le demandeur doit respecter le code du travail, qui part du principe que tout travail mérite salaire. Un producteur doit donc justifier que tous ceux qui ont travaillé pour ce clip soient rémunérés pour leur prestation. Or dans ces conditions, "le moindre petit clip coûte rapidement 10 à 15 000 euros" souligne-t-il. C'est difficile pour un label indépendant ou un groupe auto-produit de réunir une telle somme, et de payer en plus les artistes. Alors parfois, en toute transparence (ou non), certains enjolivent leur budget. En ses qualités de producteur, Matthieu Morin a notamment droit aux aides de la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF). Elle l'aide dans l'organisation de concerts, la production, la promotion d'albums et essentiellement dans la production de clips, comme le Fonds pour la création musicale (FCM). "J'essaye de défendre au mieux les artistes, avec mes petits moyens" fait-il valoir. Ajoutant : "C'est très dur d'être un artiste aujourd'hui. Ils gagnent très peu d'argent. Une majorité d'entre eux cumulent des petits jobs, et sont fatigués d'avance de demander le régime intermittent." En étant éditeur débutant, lui aussi en gagne peu. Pour se rémunérer, Matthieu propose ses services d'accompagnement ou de conseils pour des producteurs, labels ou artistes indépendants. Ce sont les lignes d'aujourd'hui : un éditeur peut devenir producteur, un label être manager. C'est le cas de Matthieu. Mais son autre casse-tête... c'est aussi la langue. "La cage d'escalier qui mène vers le paradis"  Un artiste a plus de chance de recevoir des subventions et d'être diffusé en FM s'il chante en français. (Stairway to Heaven donnerait "la cage d'escalier qui mène vers le paradis".) Depuis 1996, toutes les radios ont un quota obligatoire de diffusion de chansons francophones aux heures de grandes écoutes. Beaucoup s'en plaigne, mais c'est indispensable pour Jean-Noël Tronc, directeur de la Sacem : "Si ce dispositif venait à être affaibli, les conséquences pour la scène française seraient catastrophiques" a-t-il déclaré au micro de France Inter. Ajoutant : "Sachant qu'aujourd'hui, la chanson française ne s'est jamais aussi bien portée artistiquement, mais qu'elle est très fragile économiquement." Morale : si vous chantez en français, c'est tout bénef' ! Pour les producteurs-labels-éditeurs qui, eux aussi, peuvent avoir droit au crédit d'impôt. Un dispositif "génial" sur le papier pour Matthieu Morin... mais terriblement compliqué. Il permet de récupérer - en gros - 30% des dépenses, à condition qu'il s'agisse d'un projet francophone (et non français ou "made in France," là est la nuance). Matthieu essaye depuis cinq ans d'y avoir droit. Sans succès. Aujourd'hui, Matthieu Morin gère avec Hold On Music une dizaine d'artistes. Et il continue d'apprendre : "Je découvre d'autres facettes tous les jours, de nouveaux acteurs, artistes, médias, producteurs, programmateurs de salles,  festivals et c'est indispensable"... surtout dans ces métiers, où les lignes bougent constamment.

Angèle Chatelier