[Nouvelle Scène] "Travailler dans la musique, c'est comme être un sportif de haut niveau"

OUI FM

18 avril 2017 à 12h51 par Angèle Chatelier

Rencontre avec Rodrigue Mercier, manager et ingénieur du son.

La musique émoustille, captive, se consomme et assomme, parfois. Elle est complexe. En perpétuelle mutation et pas toujours facile à suivre. Tous les mois, OÜI FM propose de mettre en lumière un travailleur indépendant. Un artisan de la musique. Celui ou celle qui se cache derrière les artistes, les disques et certains labels. Ils sont producteurs, tourneurs, managers, attachés de presse ou chefs de projet. Parfois tout à la fois. Ils sont les Productions Indépendantes. Rodrigue Mercier a fait le choix de faire de sa vie une tournée permanente. Ingénieur du son de profession, il est depuis une dizaine d'année manager - entres autres, des groupes de rock Fuzzy Vox et Theo Lawrence and the Hearts. Portrait.
Travailler dans la musique peut parfois être ingrat. On suit ses groupes partout. On dort (souvent peu) dans des vans. On est rarement chez soi, et les odeurs de cigarettes ou de bières remplacent souvent celle de la tisane. Résultat : être manager demande un entraînement, tel un gymnaste de haut niveau. Un, deux, un, deux. Rodrigue Mercier, 27 ans, en est un. Dès seize ans, celui qui se vêtit souvent d'une veste en cuir et d'une chemise à carreaux, la barbe faussement rasée, traînait dans les bars plus ou moins miteux à la recherche de sensations fortes : du bon punk rock. "Jusqu'au jour où j'ai connu le fils du meilleur ami de ma mère" commence-t-il. Un musicien, que Rodrigue est allé voir en concert. "J'ai pris la claque de ma vie. Ça jouait hyper bien, à la Libertines sans le côté rockeur." Ce groupe, c'était Fuzzy Vox. Du rock complètement barré, léché et efficace.
Mais à l'époque, le groupe se gère mal. "Ils jouaient gratos dans des bars pour aider leurs potes" avoue Rodrigue. Rempli d'un goût amer de gâchis, il veut prendre les choses en main. C'est là que commence son histoire en tant que manager. "On a grandi ensemble souligne-t-il, à chaque fois qu'on arrivait à une nouvelle problématique, on apprenait à la gérer." La principale mission d'un manager : faire l'intermédiaire entre l'artiste et ses représentants. Rodrigue doit donc, de facto, constamment être là. Le revers du métier : il passe rarement plus de trois jours d'affilés à Paris. Toujours en vadrouille. Un entraînement quotidien
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Il se force à faire du sport. Sinon, sa vie serait un "enfer." Il tourne, en tout, avec trois groupes. Et il l'avoue : il a peu de temps pour lui. "Le jour où je sentirai que je n'arrive pas à tout gérer, et que je fais mal mon travail, j'arrêterai" fait-il valoir. Aujourd'hui, impossible de lui demander sa journée-type. Son métier est "chronophage," "fatiguant," mais il ne s'en plaint pas. Et il est rôdé : depuis son adolescence, Rodrigue passe ses soirées dans des salles de concert. Et... il a bien capté comment le métier marche : il faut savoir qui est qui, où travaille un tel, et ce qu'il écoute, connaître ses références. "À la base, je viens du punk-rock et dans ce milieu, beaucoup de gens te regardent de travers : c'est un domaine alternatif et comme dans tous, il y a plein de trous du cul" plaisante-t-il grassement (et poliment, bien sûr). Alors, il a bossé. Il ne va jamais vers quelqu'un s'il ne le connaît pas par cœur.
"J'ai un espèce de rapport à la musique, où pour moi, il ne faut pas aller voir quelqu'un que tu admires, sans être sûr de lui taper dans l'œil. À 15 ans, j'allais à des concerts pour rencontrer tel bassiste de tel groupe de punk-rock des années 80, avec ses références musicales à lui"
Ce qui a changé, c'est qu'aujourd'hui, Rodrigue fait la même chose avec des attachés de presse, des journalistes ou des bookeurs. Le tout pour vendre ses artistes... et se vendre lui, par la même occasion. Toucher à tout En France, la plupart des managers sont, avec leurs artistes, sous un mandat d'intérêt commun ; Rodrigue "est censé prendre" 15% - le maximum légal en France - sur tous les revenus bruts de ses artistes, que ce soit les droits d'auteurs, les publicités ou les concerts. Rodrigue lui, s'arrange avec eux. Il a parfois, dit-il, réinjecté son argent pour les dépenses quotidiennes de ses groupes. "Pourquoi je prendrais de l'argent si eux n'ont rien pris ?" souligne-t-il. Mais il l'affirme : être seulement manager d'un groupe en développement ne permet pas de vivre. Pour se rémunérer au quotidien, il est ingénieur du son. Il est donc aussi producteur et s'occupe, de facto, de la réalisation d'un disque. Il a créé avec Fuzzy Vox un label éponyme - association dont il ne peut pas recevoir d'argent en tant que président. Il est aussi prestataire de la société de Theo Lawrence. Puis, directeur et seul actionnaire d'une entreprise à son nom.
"Sur le papier, si l'artiste touche dix euros, je toucherai 1 euro 50" avoue le manager, qui se paye donc à la commission. Alors, quand son artiste marche bien, c'est tout bénéf'. Quand à 19 ans, il rencontre par hasard Theo Lawrence en première partie d'un groupe au théâtre de Ménilmontant, il aurait pu ne pas le flairer. Pourtant, il s'accroche : il veut devenir le manager de ce chanteur qui a "une voix de fou" et... qui en a déjà un. "Je lui ai dit qu'il allait dans la mauvaise direction" affirme Rodrigue, l'air roublard. Il a fini par devenir le sien, ajoutant : "Je suis là maintenant, on avance." Pour preuve, en tout cas, Theo Lawrence and the Hearts ont été sacrés, en 2017, vainqueurs du prix B.P.I aux OÜI FM Rock Awards, et sont en tournée dans toute la France avant l'été. Fuzzy Vox seront, eux, sur les routes, entre la France, la Suisse et l'Allemagne. https://www.facebook.com/fuzzyvox/posts/10154662278878315 À 27 ans, Rodrigue Mercier se sent encore complètement d'attaque pour continuer à ce rythme-là. Ses projets ? Continuer à suivre Theo Lawrence and the Hearts et Fuzzy Vox en tournée. Le reste du temps, à ballotter de salles en salles à la recherche de nouvelles perles. Le corps toujours en vadrouille et la tête pleine de musique.